Je m’appelle Adélaïde. Je pourrais me présenter comme une cycliste de bord de canal. D’ailleurs, je ne suis pas une cycliste, simplement, parfois, je fais du vélo. À plat. Pour relier un point A à un point B. J’ai du mal à me qualifier de cycliste parce que je ne suis pas sportive pour un sou. Pourtant samedi matin, j’ai fait sonner mon réveil très tôt, pour charger des vélos cargos dans un camion, retrouver de vrais cyclistes et partir à l’aventure de la Cargo Loco entre Lyon et le lac d’Aiguebelette : un vrai week-end de “furieux” !
Premier jour, jour de première
J’imagine la collégienne que j’étais rire aux éclats à l’idée que la nana de 34 ans qu’elle allait devenir envisagerait de passer ses jours de repos à relever des défis sportifs…
M’enfin… nous voilà engagés, sur l’autoroute, sous la pluie, deux camions Douze Cycles, six cyclistes, sept vélo cargo, direction Lyon.
Nous sommes une petite équipe :
Je connais déjà Aurélie, l’aventurière, qui a déjà relevé de grands défis sportifs et cyclo mais qui n’a pas le bagou écrasant des furieux qui vous filent des complexes. Au contraire, Aurélie partage ses aventures comme on propage la bonne parole. Elle dit : « je ne m’entraîne pas, je roule à mon rythme » et puis paf, elle est de l’autre côté de la planète sans qu’on ait le temps de dire ouf.
Elle va faire des photos tout au long du week-end.
Il y a Nicolas, qui travaille chez Douze Cycles. J’ai déjà roulé une fois avec lui… lui n’est pas loin d’être un « furieux »… la Desertus Bikus, le Ventoux, et sans doute d’autres dont je n’ai pas connaissance !
Mais je l’ai déjà vu rouler en groupe, il ne laissera pas tomber la collégienne râleuse qui sommeille en moi, j’ai confiance.
Je rencontre Franck, Tutu et Patrice, salariés ou anciens salariés de Douze Cycles. Ils prennent l’autre camion. On aura le temps de faire connaissance ce week-end.
On arrive à Lyon dans la matinée et on retrouve le septième membre de notre équipe : Sophie.
Le mien s’appelle LT2 B, c’est un longtail avec une assistance électrique. On peut y charger un ou deux enfants, un adulte, 80 kilos de tout ce que vous voulez… quatre grosses sacoches de voyage ou deux sacoches grises Douze Cycles, presque trop élégantes pour nos projets de camping ! Bref, un vélo sur lequel vous pouvez charger … le monde entier !
Puisque je peux y mettre toute ma maison, j’aurais tendance à l’appeler l’escargot.
Mais avec l’assistance électrique, j’ai vite oublié le poids du vélo et des sacoches ! Et puis il est aussi maniable qu’un vélo classique puisque la roue de direction et le cintre sont dans une configuration classique.
Au départ du parcours, on rencontre Caroline et Harald qui organisent la Cargo Loco et toutes les Poco Loco. Ils sont chaleureux, ils nous offrent du café.
Il ne pleut plus.
On parle un peu du camping et de la baignade promise à l’arrivée… dans 104km quand même…
Et puis Sophie me dit : toi aussi t’es une newbie du vélo cargo ? Et me voila détendue ! On peut partir à l’aventure.
On fait une photo, tous alignés en rangs d’oignons et on s’élance dans les rues de Lyon.
Est-ce qu’il vous reste un peu d’énergie ?
Qui a un GPS avec la trace ? Très vite, Sophie prend les devants et nous fait sortir de Lyon.
Sortir d’une grande ville, quelle que soit la taille du groupe avec lequel tu roules et quel que soit ton vélo, c’est jamais très marrant. On finit par sortir du bitume, les maisons sont moins hautes, les routes moins larges, les voitures moins nombreuses.
Assez vite, puisqu’on est partis assez tard dans la matinée, on s’arrête sur une place de village : c’est l’heure du ravito. Un traiteur et une boulangerie ravissent ceux qui n’avaient pas prévu leur petit pic-nic. On s’arrêtera plus tard, quand on trouvera un coin sympa.
Les paysages commencent à être vraiment sympas.
Sophie s’agace : mais on ne voit toujours pas de montagnes ? A ces mots, une discrète perle de sueur commence à humidifier mon front. Je crois que j’imaginais rouler sur un solex, mais un Vélo avec une Assistance Electrique (VAE) c’est pas tout à faire une mobylette, il faut quand même pédaler un peu.
Sur mon guidon, deux boutons (plus et moins) et une série de petites LED colorées me donnent des indications sur la capacité restante de la batterie et sur le niveau d’assistance que j’utilise.
Pour la batterie cinq lumières fixes bleues s’éteignent les unes après les autres au fur et à mesure que la batterie se vide. Et pour la puissance c’est un dégradé qui va du vert au rouge…
A plat, je reste en vert, ça me permet de ne pas sentir le poids du vélo, mais le ressenti est proche de celui de mes vacances en bord de canal…
Dans les montées je me laisse séduire par les couleurs chaudes… Le moteur simplifie la vie. Ça me permet d’imprimer un rythme beaucoup plus simplement. Ce n’est pas comme rouler à plat, parce qu’il faut maintenir un effort constant mais ça fait perdre quelques degrés à la pente.
Vers 14h, on a toujours pas croisé d’idyllique coin pique-nique… alors on s’arrête là où on ne sera pas embêté. Sur un terrain caillouteux à l’entrée d’un village.
On n’a pas fait la moitié des 104 km du jour. Je n’ai plus d’eau dans mes gourdes. Sur cinq, il n’y a plus que deux LED de batterie qui brillent encore. Est-ce que je montre à mes collègues que je panique ? Non ?
On reprend la route.
Avec Aurélie on se perd (on prend un raccourci sans le savoir !) parce qu’on laisse partir les porteurs de GPS loin devant. Puis, une fois qu’on a retrouvé tout le monde, Sophie propose un petit détour pour recharger les gourdes. Les paysages vallonnés sont magnifiques, les descentes sinueuses délicieuses.
On arrive à Bourre. Et dans la descente, à l’entrée du village : badaboum. Sophie fait une chute plutôt impressionnante. Elle se relève. Check complet. Elle va bien. Elle n’a rien, c’est à peine croyable !
Un soleil en vélo cargo longtail, c’est du jamais vu ! Les rustines de bitumes mal rafistolés ont eu raison de sa roue avant…
Une voisine impressionnée par le spectacle d’acrobatie de Sophie vient s’assurer que tout va bien. Elle remplit nos gourdes.
Un peu plus tard, après avoir oublié de tourner en plein milieu d’une descente – qu’il a donc fallu remonter en poussant le vélo – on s’arrête tous devant une maison. Bien qu’un panneau sur la porte indique « attention au chien » Franck et Patrick décident de sonner pour demander de l’eau pour remplir nos gourdes.
Une femme sort de la maison, prend toutes nos gourdes dans ses bras, referme le portail derrière elle. Quand elle ressort, elle est accompagnée d’un chien absolument adorable et d’un gros paquet de madeleines !
Je ne sais pas ce qui redonne le plus d’énergie dans ces moments là ? L’eau plein les gourdes, la pause, le petit moment passé avec tout le groupe, la madeleine ou la caresse au gros chien.
Quoi qu’il en soit, je suis requinquée ! Je pense à la baignade de l’arrivée, j’imagine déjà mon corps chaud et fatigué porté par les eaux fraîches du lac au milieu des montagnes.
On est prêts à repartir.
Mais avant ça, je change de batterie, car ma première est complètement vide.
Bon. Désormais, je fais super attention dans les descentes et j’économise ma batterie au maximum. Il y a encore un bon paquet de kilomètres et les dénivelés ne font que commencer…
Atteindre des sommets ?
D’habitude, je roule au bord des fleuves et des canaux. C’est, d’abord parce que le chemin est balisé – aucune carte, aucun GPS ne sont nécessaires -, parce que le plus souvent de belles pistes cyclables vous éloignent des voitures et puis parce que c’est plat !
Et quand c’est plat, vous avez tout le loisir de lever le nez au vent, de profiter du paysage qui défile gentiment, à la vitesse tranquille de vos coups de pédales. Si vous êtes en groupe, vous pouvez discuter. Vous relier des points très éloignés les uns des autres sans avoir à souffrir intensément !
Dans cette Cargo Loco, il y a un peu de dénivelé. Les furieux diront sans doute que c’est pas grand chose… moi, ça m’a furieusement impressionné ! Clairement, je n’aurais pas réussi à faire tous ces kilomètres à la verticale sans l’assistance électrique.
D’ailleurs, je suis souvent la dernière. Je vois mes acolytes disparaître dans un virage, en haut d’un col… Mais, heureusement, dans notre petit groupe, il y avait Patrick !
Patrick est celui qui attend. Il est ok pour être lanterne rouge. Il ne veut pas que quelqu’un se sente seul, en arrière.
En plus, Patrick a toujours une histoire à vous raconter… parfois j’étais tellement concentré sur mon effort, que je ne trouvais rien à lui répondre mais ça a souvent permis à ma pensée de se décaler un peu, d’arrêter de me focaliser sur mon souffle saccadé et mes douleurs aux fesses …
Pendant une pause, je télécharge Komoot. Sur le profil de la trace, je peux voir où on en est : reste une grosse bosse avant une ultime montée jusqu’au camping. Je crois que ça m’aide de savoir, ça me permet de gérer mon effort différemment.
Une grosse bosse… en fait, c’est une montagne. La lumière s’intensifie en même temps que mon effort m’épuise. L’horizon se dégage et d’un seul coup j’ai l’impression de respirer comme pour la première fois. Un plateau, un peu de plat, juste le temps d’admirer les Alpes au loin, le petit village balayé par les vents à l’air de pencher un peu, les champs de maïs nous font une haie d’honneur jusqu’au ciel, les nuages proposent des œuvres abstraites pour embellir un tableau déjà parfait. Rien ne semble retenir notre communion avec les cieux. Jusqu’à la descente. Ça rafraîchit. On sent qu’il faut profiter : les paysages, l’effort qui se calme, la respiration qui reprend un rythme tranquille mais tout le reste qui file, défile, s’enfuit !
Dans la dernière montée, l’assistance électrique me donne l’illusion que la pente n’est pas si raide. J’ai le temps de penser : ces dénivelés, finalement c’est intéressant. Ça fait des montagnes russes, ça éblouit, ça coupe le souffle. Je prendrais peut-être mon vélo sans assistance électrique, un jour, pour quitter le canal et profiter des lacs de montagne.
Lorsqu’on arrive au lac d’Aiguebelette, on retrouve tout le monde. Sophie gagne le prix de la chute la plus improbable. On monte nos tentes. La baignade tient ses promesses. On boit un verre. On mange des frites. Et puis je m’endors dans ma tente comme si c’était un palais !
Prologue à cette journée tranquille : une petite baignade dans le lac pendant qu’au-dessus de lui se lève un petit brouillard accueillant comme une couverture en coton.
Le groupe réussit à quitter le camping assez tôt. Tutu semble être un habitué du remballage de campement, c’est le premier prêt. On se moque un peu des traînards… Mais à 8h45, l’heure convenue la veille, on réussit à partir.
Notre belle envolée n’est pas très efficace car à moins d’un kilomètre c’est déjà l’heure de la première pause : la boulangerie, son café et ses tartines.
Pour ce deuxième jour, les organisateurs de la Cargo Loco, proposaient de faire une étape de cent kilomètres et mille six cent mètres de dénivelé positif. Impossible, inimaginable ! (Terrifiant !) Une nouvelle version de la deuxième étape a donc été élaborée : soixante kilomètres et deux grosses bosses, mais rien d’infranchissable.
On a donc senti l’atmosphère se détendre. Aujourd’hui, pas vraiment de crainte du côté des batteries, une seule suffirait pour la journée entière. On a le temps. On prend le temps.
Un belvédère.
Un proxi market.
Un coin pique nique au bord du Rhône.
Une sieste.
Tout est prétexte à poser ses fesses sur autre chose que sa selle et laisser filer le temps.
On a le temps de se parler : les vacances cyclo de Tutu, ses enfants qui font du vélo comme ils respirent, l’incroyable chien parlant de Franck, les photos de Sophie, ses aventures outdoor.
Les autres se moquent un peu de moi parce que j’ai été jusqu’à prendre une petite planche à découper en bois pour nos pauses saucissons. Ils rigolent, ils rigolent mais finalement tout le monde est content !
Il fait super beau. Les kilomètres défilent et pourtant, on y met du nôtre, de pause en pause on essaie de les retenir. J’ai tout le loisir de mettre mon nez au vent et de flâner. Alors je reprends une de mes habitudes de voyage en vélo : les inventaires de bord de route. Puisque je ne peux pas m’arrêter à chaque kilomètre pour prendre des photos, je fais des sortes de collections mentales : les saintes vierges dans des cages en fer forgé, les jolis potagers, les charognes, les fours communaux. Ces collections varient d’un voyage à l’autre : les hérons, les noms de salon de coiffure capillotractés, les éoliennes, les châteaux d’eau, les stations d’épuration, les maisons dans lesquelles je pourrais déménager. Aucun voyage n’échappe à cette tradition, je continue de collectionner, j’accumule les souvenirs furtifs comme on enfile des perles sur un collier.
On arrive au camping. A l’image de cette journée, cette arrivée ressemble à une longue pause : petite bière, baignade dans la piscine, glace et acclamation des arrivants, ceux qui ont fait la version 1 – le parcours des sommets ! Et on regarde… la météo.
Alerte Orage
La soirée s’étire. L’automne arrive et on le sent car, même s’il fait chaud, la nuit arrive tôt. On dîne en groupe. Nico file se coucher, il n’est pas en grande forme. On sort nos téléphones et on check la météo.
Catastrophe ! Météo France annonce des orages féroces. Alerte orange. Vent. Trombes d’eau. Ils conseillent de reporter les déplacements, même en voiture. Dans notre journée calme et baignée de soleil, ça parait difficile à croire. Chacun examine son site météo favori… mais le résultat reste le même.
Est-ce qu’on rapatrie les tentes à l’abri ? Et le chargement des batteries ? Qu’est-ce qu’on fait ? Comment on s’organise ? Et demain ? On part tôt sous la pluie battante ? On attend que ça passe ? Oui, mais Sophie a un train à prendre, elle ne peut pas le rater. Encore une fois, c’est bien différent de rouler en groupe, prendre ce genre de décision en urgence, quand c’est pour soi et seulement pour soi, c’est différent.
Un des autres coureurs de la cargo loco décide de partir de nuit pour rallier Lyon tant que le temps est clément.
Et ça, ça donne des idées à Franck et à Tutu. Partir de nuit ? Ramener les camions ? Je vais sonner à la tente d’Aurélie pour lui expliquer le projet d’aventure de nuit… Ni une, ni deux, elle saute hors de sa tente !
Ces trois là sont ravis de l’aventure qui les attend : ils remplissent les gourdes, les batteries de téléphones et de vélos sont chargées à bloc, ils récoltent toutes les barres de céréales possibles et imaginables, toutes les lampes aussi !
Ils partent.
Ils ont soixante dix kilomètres à faire.
Il est minuit.
Toute l’excitation s’estompe.
Le camping est d’un calme assommant.
Evidemment, je ne dors pas. Impossible. J’imagine Aurélie, Franck et Tutu dans la nuit, au bord d’un fleuve réveillé par les orages en amont. Le vent. La nuit. Les bêtes…
Toutes les vingt minutes j’ouvre un œil. Je leur envoie quelques sms de soutien. Je guette leurs réponses. Elles me rassurent.
A trois heures, le vent se lève. Lorsqu’il commence à pleuvoir, Aurélie m’écrit pour me dire qu’ils sont arrivés à Lyon. Ils vont reprendre la route en camion.
Ici, on a donc environ une heure pour se préparer à partir.
Finalement, vers cinq heures, on charge les vélos dans les camions sous la pluie battante et on se met en route pour Dijon. Des murs d’eau s’abattent sur nous, heureux d’être à l’abri dans les camions.
Petit à petit, la nuit finit par s’estomper. Il pleut de moins en moins. On boit un café dans une station service. Et puis, finalement, on arrive à destination, sous le soleil.
Et, finalement, c’est sous le soleil que cette aventure s’achève, lundi matin, devant les entrepôts de Douze Cycles. On décharge les vélos. On se salue. On se parle un peu du goût étrange que laisse cette fin d’aventure. On prend des nouvelles du reste du groupe, arrivés à Lyon, trempés, heureux. Et on referme cette parenthèse hors norme, à l’intérieur de laquelle des amis et des inconnus ont pédalé ensemble, faisant partie du même groupe.
Une aventure raconté par Adélaïde Gacon et mise en image par Aurélie Gonet et Sophie Gateau